Gilets jaunes : questions pour ceux qui cherchent des alliances

Le Comité Adama appelle à rejoindre le mouvement des Gilets jaunes le samedi 1er décembre à Paris, en se joignant au cortège des cheminots gare Saint-Lazare avant d’aller aux Champs-Elysées. On trouvera ici une interview de Youcef Brakni, porte-parole du Comité, qui s’explique sur ce choix.

On aimerait bien y croire, dans la capacité des choses à être autre chose que ce qu’elles sont. Oui mais… s’il est évident que les quartiers ont tout à faire dans une insurrection populaire contre la misère, comment se fait-il que jusqu’à présent ils aient été absents de ce mouvement ? Est-ce qu’il n’y a pas une différence entre passer une alliance avec un mouvement et simplement considérer que – de droit – on en fait partie ? Est-ce qu’on peut passer une alliance avec quelque chose comme une coquille vide ? Est-ce qu’on peut s’allier avec quelque chose qu’on va définir soi-même, c’est-à-dire avec quelque chose qu’on ignore ? Est-ce qu’on peut s’allier sans avoir fait le point sur ce qui nous oppose à ceux avec qui on s’allie ? Est-ce qu’on peut s’allier sans savoir si l’autre souhaite s’allier aussi ? Est-ce que le mouvement des Gilets jaunes ne dit rien, que ce soit par ses mots ou par ses actes ? Est-ce qu’il est vraiment une coquille vide qui attend d’être remplie ? Pourquoi a-t-on une oreille ouverte sur le « social », et l’autre fermée sur le racisme, comme si c’était des choses différentes, comme si ces discours sortaient de bouches différentes ? Est-ce que le « social » est un discours politique, et pas le racisme ? Est-ce que l’extrême-droite ne peut pas avoir un discours « social », qui impliquerait le racisme ? Est-ce que le « social », c’est seulement la gauche ? Est-ce que le racisme c’est juste un réflexe de petits blancs débiles, ou est-ce que ça peut orienter des politiques ? Est-ce que quand on est Noir ou Arabe en France, on a seulement des problèmes avec le racisme, où est-ce que ça implique une position sociale particulière ? Est-ce que les Blancs ont intérêt à ce que le racisme existe, ou est-ce que le racisme existe malgré eux ? Est-ce que ce mouvement est un mouvement d’intérimaires, de chômeurs et de bénéficiaires du RSA, ou de petits patrons, d’auto-entrepreneurs, de commerçants et d’artisans ? Ou les deux ? Et si oui, quel lien et quelle alliance entre les deux ? Est-ce que la France blanche-d’en-bas serait légitime, si elle n’était composée que de chômeurs, RSAstes, travailleurs précaires, etc. ? Est-ce qu’il faut travailler pour avoir le droit d’être Français ? Est-ce que le fait d’avoir du mal à remplir son frigo pour nourrir ses enfants, c’est la même chose que critiquer la hausse des taxes et de la CSG ? Est-ce qu’on a un problème avec la CSG quand on n’est pas imposable ? Est-ce que tout le monde a les moyens de se payer une voiture ou une moto ? Est-ce que baisser les taxes sur la propriété foncière va fatalement entraîner une baisse des loyers ? Est-ce qu’on peut à la fois augmenter le SMIC et les minima sociaux et baisser les charges patronales ? Est-ce que la France blanche-d’en-bas et les quartiers peuvent s’allier sans mettre ces questions sur la table, quitte à se foutre sur la gueule ? Est-ce que la France blanche-d’en-bas se sent plus proches des petits patrons qui râlent sur le prix du gas-oil ou des habitants des quartiers ? Pourquoi ce mouvement ne s’est pas développé dans les centres-villes, où il y a des plus riches, ni dans les quartiers, où il y a des plus pauvres ? Est-ce que les Gilets jaunes, ça n’est pas déjà une alliance entre pauvres et moins pauvres ? Entre ceux qui ont du mal à remplir leur frigo et ceux qui aimeraient partir plus souvent en vacances ? Entre ceux qui gagnent 2000 euros par mois et ceux qui sont au SMIC ou en-dessous ? Et qui va sortir gagnant de cette alliance ? Est-ce que la lutte des classes, c’est seulement entre le « peuple » et le pouvoir ? Est-ce que l’interclassisme ça n’est pas aussi une lutte des classes dans leurs alliances même ? Est-ce que le problème c’est Macron ? Est-ce qu’il faut « dégager Macron » et refaire des élections ? Et dans ce cas qui sera élu à sa place ? Est-ce que les quartiers populaires ont quelque chose à y gagner ? Est-ce que la France blanche-d’en-bas a quelque chose à y gagner ? Est-ce que les plus pauvres ont quelque chose à y gagner ? Pourquoi quand les quartiers manifestent leur colère il y a couvre-feu, alors que quand la France blanche-d’en-bas le fait elle est reçue dans les ministères ? Est-ce qu’on a jamais demandé aux émeutiers de 2005 de se choisir des représentants ? Est-ce qu’il y a seulement entre les quartiers et la France blanche-d’en-bas de l’incompréhension et de vagues préjugés hérités de la colonisation ? Pourquoi on envoie l’armée à la Réunion et pas sur les barrages en Corrèze ? Pourquoi en 2016 Fillon appelait à interdire les manifestations, et pas maintenant ? Est-ce qu’on n’entend pas tout de même la France blanche-d’en-bas dire qu’elle a un droit légitime, en tant que VRAI peuple Français, à être mieux traitée que la France des quartiers, que les migrants, etc. ? Est-ce que quand des gilets jaunes menacent un patron parce qu’il embauche des étrangers, ça ne veut rien dire politiquement ? Est-ce que c’est du racisme, ou du protectionnisme ? Est-ce que ça peut être les deux, et si oui, quel est le lien ? Est-ce que n’existe pas un discours qui oppose ceux qui travaillent et ceux qui profitent et grattent les allocs ? Est-ce que ce discours ne vise pas explicitement les quartiers, et les racisés en général ? Est-ce que ce discours est d’extrême-droite pour ceux qui le tiennent ? Est-ce qu’il n’est pas aussi tenu à gauche, de manière de plus en plus répétée ? Est-ce qu’on peut vraiment passer sur tout ça au nom d’une alliance « populaire » ? Dans la mesure où ce discours est transversal à la droite et la gauche, est-ce qu’il n’est pas lui-même une « alliance » ? Est-ce qu’il faut ouvrir une lutte autour de la qualification « populaire », pour savoir qui y a droit et ce qu’elle recouvre au juste ? Est-ce que les quartiers sont « populaires » ? Est-ce qu’ils représentent légitimement le « peuple français » ? D’ailleurs qu’est-ce que c’est le « peuple français » ? Et qui est-ce qui décide de ce qui est « populaire » et de ce qui ne l’est pas ? Qui est-ce qui décide de ce qui est légitime et de ce qui ne l’est pas ? Est-ce que les quartiers peuvent vraiment obtenir cette légitimité que tout le monde leur refuse, et que la société dans son ensemble accorde d’emblée à la France blanche-d’en-bas ? C’est quoi alors le « peuple », si les quartiers n’en font pas tout à fait partie ? Etc., etc.

Rendez-vous samedi 1er décembre gare Saint-Lazare pour commencer à poser ces questions, et peut-être entrevoir quelques réponses.

Une traduction anglaise de ce texte, ainsi que d’autres relatifs au mouvement est disponible sur le site de Ediciones Ineditos.

Greek translation by InMediasRes.

13 commentaires

  1. éh oui, comme d’habitude, on se pose tellement de questions qu’on s’empêche d’aller à la rencontre, qu’on s’empêche d’écouter, qu’on s’empêche d’agir…
    Partageons nos vies et l’insupportable concret qu’on vit tous les jours pour commencer plutôt que de chercher à définir exactement la définition précise de l’exact précision…
    Heureusement, tu termines par Rendez-vous le 1er décembre !

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  2. De vraies grosses questions, qui, pourtant, sont tellement pleines de tellement de vraies (bonnes (et moins bonnes) réponses !
    Une chose est sûre : comme le suggère Lorie, la réponse ne peut qu’être le fruit d’une rencontre avec cogit’action collective !

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  3. De vraies grosses questions, qui, pourtant, sont tellement pleines de tellement de vraies (bonnes (et moins bonnes) réponses !
    Une chose est sûre : comme le suggère Lorie, la réponse ne peut qu’être le fruit d’une rencontre avec cogit’action collective !

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  4. Ces questions sont judicieuses, mais le meilleur moyen c’est d’y aller, d’être présent pour se faire une idée. Rien ne remplace l’expérience de terrain, que de se poser des questions et d’ergoter sans fin derrière son ordinateur..

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